samedi 1 janvier 2011

Requies

Mes nuits sont mauvaises et courtes depuis dimanche et ce, en dépit des la gentillesse, de la prévenance et de l'attention dont j'ai été l'objet de la part de G. en premier lieu, mais également de celle de beaucoup de gens. Les obsèques furent aussi intimistes que la dernière fois et c'était très bien ainsi. Hypocrisie et fausseté ont donc été bannies du fait de l'absence de leurs porteurs. Ceux qui l'aimaient ont pris le train. Et la voiture. C'est moi qui suis arrivée la première. Je ne savais pas très bien si j'étais censée entrer. Après quelques minutes d'hésitation, j'ai poussé la porte pour me retrouver dans ce lieu froid, impersonnel, loin de ce à quoi m'avaient habituée les Fisher. Le funérarium était dans une petite rue, donc peu exposé aux nuisances sonores de l'extérieur. Son nom était affiché sur un A4 à côté d'une porte poussée mais pas fermée. Personne en vue. Je n'étais pas à Los Angeles mais à Bergerac. Dans mon cher sud-ouest pétri d'histoire. Je ne savais pas quoi faire. Puis j'ai finalement poussé cette porte. C'est d'abord le bouquet de fleurs au sol que j'ai vu. Mais la sorte de paravant coulissant sur le côté a ensuite immédiatement attiré mon attention. Il était ouvert et c'est alors que j'ai vu le cercueil. Ouvert. Je n'avais vu de défunt qu'une seule fois et de loin. Cette fois-ci, c'était ma grand-mère ; elle était là, devant moi. Je me suis recueillie debout devant elle, lui parlant mentalement. Je me suis mise à pleurer et l'appréhension et la solitude ont retenu la spontanéité du baiser que j'ai fini par aller déposer sur son front froid. Car c'était le contact avec ce froid mortuaire, dont je n'avais encore jamais fait l'expérience et dont la mention par ma mère au sujet de mon grand-père m'était encore présente à l'esprit, que je redoutais. Voilà probablement ce qui décrit le mieux la mort : le froid et l'inertie. Elle gisait dans son linceul lilas. À travers mes larmes, j'avais parfois l'impression de voir sa poitrine se soulever imperceptiblement, comme mue par un sommeil serein et profond. Au bout d'un petit moment, j'ai dû sortir pour reprendre mes esprits et boire quelque chose. Puis je me suis dit qu'il valait mieux passer le plus de temps possible avec elle pendant qu'il en était encore temps et suis retournée auprès d'elle. Je suis allée l'embrasser une seconde fois après avoir utilisé quelques kleenex.
Je me tenais toujours devant le cercueil quand j'ai entendu ma mère, mon beau-père et mon frère arriver. Je les ai vus et suis donc retournée dans la première pièce. Après les étreintes et les embrassades, quelques paroles, nous sommes retournés dans la chapelle ardente. Nous avons commencé à y faire des stations régulières, ressortant de temps en temps en attendant l'arrivée de R. et E.. Ma mère avait récupéré des lettres qu'elle avait apportées. Elle a glissé mes deux textes, qu'elle avait imprimés, dans le cercueil avec une lettre qu'elle lui avait écrite. Nous y avons joint quelques autres lettres et photos.
C'est après l'arrivée de mon oncle et ma tante que les choses se sont pimentées. Lorsqu'il a fallu refermer le cercueil, que les policiers et les employés des pompes funèbres sont entrés dans la chapelle ardente, je suis sortie. Seuls ma mère et mon beau-père veillaient au déroulement de l'opération. J'avais déjà fait preuve de courage en restant seule au début et en trouvant la force d'embrasser le visage chéri de ma grand-mère, pourtant devenu si autre du fait de son amaigrissement des dernières semaines, du maquillage pourtant discret mais visible et par la rigor mortis. Je ne pensais pas pouvoir supporter de voir le couvercle du cercueil se refermer à jamais sur elle. Je me tenais avec mon frère dans la première pièce lorsque notre mère est sortie précipitamment de la chapelle ardente après que nous ayons entendu un bruit de petits objets métalliques tomber au sol. Nous ne savions pas si elle pleurait ou riait. Probablement un mélange des deux. Elle est allée vers R. et E. puis ils sont sortis, bientôt suivis par mon beau-père. K. et moi étions alors silencieux, nous interrogeant l'un l'autre du regard. Nous avons alors vu les autres au dehors par la porte vitrée. Ils riaient. C'est alors que nous avons entendu les deux employés s'engueuler. Ils devaient nous croire tous dehors. K. et moi avons fini par sortir rejoindre les autres et avoir l'explication de ce qu'il venait de se passer : le vilebrequin de l'un des deux employés avait glissé et attaqué le doigt de l'autre, qui s'était mis en devoir de tenir la vis. Celui-ci avait jeté la boîte de vis en l'air sous la douleur.
Finalement, cela nous faisait rire et nous soulageait. Ma grand-mère elle-même devait probablement sourire de l'absurdité de la scène depuis son nouveau séjour.

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